Cécile Bachelot – Crolles – Département : Isère
« Un accouchement en maternité, c’est comme faire l’amour au milieu de Carrefour, un samedi après-midi ! Les femmes ont les jambes en l’air, le cul à la vue de tout le monde, il peut y avoir 7 personnes dans la salle pendant qu’elles sont en train de pousser, c’est le grand bonheur ! »
Cécile a 34 ans. Quand je l’ai rencontrée, il m’a paru difficile de ne pas me sentir de bonne humeur avec elle. Elle a le sourire très communicatif. Elle fait penser à ces sages-femmes idéales, à la douceur enveloppante, aux gestes courbes, contre qui on a envie de se blottir. Ne surtout pas s’y tromper, elle fulmine actuellement contre toutes les barrières et difficultés que son quotidien professionnel dresse devant elle.
Je l’ai rencontrée par hasard chez une autre sage-femme que j’avais contactée. Dès qu’elle a entendu parler d’un projet de film, elle est venue se présenter et a dit : « Est-ce que je peux vous aider ? J’adore le cinéma ! »
Avant d’en arriver aux accouchements à domicile, elle a travaillé pendant 6 ans dans une maternité moyennement médicalisée. Elle tentait au jour le jour, par de petites choses, d’humaniser sa pratique et celle de sa structure.
Son premier enfant est né dans cette même maternité. Au cours de son accouchement, elle s’est laissé convaincre de la nécessité de pratiquer des actes chirurgicaux (épisiotomie et forceps). C’est avec le recul qu’elle s’est rendu compte que ça n’aurait pas du tout été utile si on l’avait laissé prendre le temps nécessaire. Elle le regrette aujourd’hui car ses cicatrices ont eu des conséquences assez dures sur sa vie sexuelle et intime, mais c’est cette expérience de la naissance qui l’a poussée à démissionner et à s’installer comme indépendante.
Elle a ensuite eu deux garçons, à son domicile cette fois, en présence de sa sage-femme, de son mari et de sa fille de 3 ans. Elle raconte qu’un accouchement peut être une expérience magnifique pour un enfant s’il a envie de la vivre : « Ma fille a adoré, elle a coupé le cordon pour ses deux frangins, elle m’a apporté une bouillotte. Je lui avais dit que j’allais faire des sons, je n’en fais pas quelque chose d’extraordinaire ! Pour elle, l’accouchement, c’est ça, l’excitation de devenir grande sœur. Elle n’aura pas cette image de la douleur, de la tristesse d’être séparée de sa mère. Les enfants n’ont pas notre angoisse de l’accouchement à la maison. Le bébé va arriver, c’est tout ce qu’ils savent.»
Aujourd’hui, Cécile pratique depuis 2 ans les accouchements à domicile. Elle travaille en collaboration avec une autre sage-femme. Ce qu’elle trouve le plus dur, c’est la frustration de ne pas pouvoir parler de ce qu’elle a découvert et de se faire chasser de certaines maternités lorsqu’elle veut accompagner des parents qu’elle a suivi, mais qui ont besoin d’êtres hospitalisés. Malgré des moments magnifiques de partage avec les parents, la réalité n’est pas toujours rose. Elle a parfois des coups de ras-le-bol au cours desquels elle se dit que si les femmes n’ont pas envie de se battre elles-mêmes pour tout ça, alors elle préfère arrêter ou partir à l’étranger. Elle tente de nouer des contacts avec les institutions hospitalières et d’améliorer les relations avec les professionnels de sa région. Elle est souvent fatiguée par le manque de résultats.
« En institution, quand il arrive une complication grave lors d’un accouchement et que la femme est sauvée, les statistiques ne reprennent que ça. Les causes et les actes qui ont mené à la catastrophe ne sont jamais analysés. »
Jacqueline Lavillionière
Angers – Département : Maine et Loire
« Je suis devenue militante malgré moi. En aidant les femmes. Parce que le système tel qu’il est organisé m’empêche de pratiquer tel que je le voudrais et donc remettre ça en question devient du militantisme de fait.» Jacqueline est la plus expérimentée des trois sages-femmes. Elle a pratiqué les AAD pendant 30 ans en Ardèche. Aujourd’hui, elle a déménagé vers Angers pour rejoindre ses filles, toutes trois installées là-bas. Elle ne pratique plus beaucoup d’accouchements à domicile, car elle a décidé de s’atteler à transmettre son expérience et à militer pour un plus grand respect de la physiologie[1].
Le respect de la physiologie, c’est son credo ! Elle se bat contre le fait qu’actuellement 80% des accouchements pourraient se dérouler de manière « naturelle»[2] et que malgré cela, le taux d’épisiotomie (coupure du périnée) est de 47 % en France[3] et le taux des césariennes peut varier de 3% à plus de 53% selon les maternités[4]. Elle milite également pour que l’enseignement de la physiologie soit dispensé dans les écoles de sages-femmes, ce qui est peu le cas aujourd’hui.
Elle dit d’elle-même qu’elle n’est pas une acharnée de l’accouchement à domicile, que si elle avait pu respecter la physiologie à l’intérieur d’une maternité, elle l’aurait sûrement fait. Mais que ce n’est pas envisageable aujourd’hui. Le peu d’effectif de sages-femmes, la domination des médecins dans la prise de décision, la peur qui existe de l’accouchement naturel et de la douleur, la peur des poursuites judiciaires, tout cela empêche d’envisager un accouchement serein au sein de ces structures.
Jacqueline représentera l’aspect militant du film. Elle donne beaucoup de formations pour les sages-femmes et elle est présidente de l’Union Nationale et Syndicale des Sages Femmes. Nous la suivrons dans ses formations, ce qui nous permettra de rencontrer d’autres sages-femmes ayant des sensibilités différentes. Nous pourrons échanger avec elles sur leurs points de vue, sans quitter le cadre de la formation de Jacqueline.
Très dynamique et positive, elle fait beaucoup rire et réfléchir les gens. Elle est reconnue dans le milieu car elle a su imposer ses idées au sein de la corporation des sages-femmes, malgré le fait qu’elle pratique les AAD.
« Quand tu vas à l’hôpital, les médecins te disent : « Une femme enceinte est potentiellement à haut risque ! », je leur réponds qu’étant donné que 80% des accouchements sont physiologiques, pour moi une femme est potentiellement à bas risque ! Ça change beaucoup le rapport à la naissance de ne pas voir la femme comme une bombe prête à exploser ! »
Muriel Candela
Urcurray – Département : Pyrénées Atlantique
« Au début de ma pratique, j’ai senti surtout de l’effroi, et une incompréhension. Les collègues n’ont pas compris. Avec les sages-femmes libérales ça se passe bien, mais avec les hospitalières, c’est très partagé. J’ai peu de bonnes relations avec les médecins.”
Muriel vit au Pays Basque, dans une magnifique maison perdue au bout d’une petite route de montagne. Elle vit et fait ses consultations dans cet endroit paisible, à l’écart de la ville. Ça n’a pas toujours été le cas. Avant ça, elle a travaillé 10 ans dans une grosse structure hospitalière : « Je suis sortie de l’école en super technicienne, j’étais ravie, c’était moi qui accouchais tout le monde, je faisais de la médecine, je sauvais le monde ! Réanimation du nouveau né, césarienne, pathologie… j’arrivais en garde avec le couteau entre les dents, plus y’en avait, et plus j’étais contente ! Très rapidement, j’ai été enceinte, et alors j’ai complètement changé d’attitude. Je n’ai pas du tout aimé la façon dont on m’a traitée. Je me suis rendu compte que je voulais un type d’accompagnement pour les autres, et un autre pour moi. »
Suite à ses accouchements, elle s’est installée comme indépendante et s’est doucement, au fil des rencontres, sensibilisée à l’accompagnement global[5]. Elle a pris son temps avant d’oser franchir le pas des accouchements à domicile. Des années à déconstruire les peurs collectives et les idées reçues.
Elle pratique maintenant l’accompagnement global et les AAD depuis 4 ans. Elle suit également les couples dans un accompagnement en plateau technique à
Orthez[6]. Elle est la seule à proposer cette alternative en Pyrénées Atlantique et seulement 25 sages-femmes ont cette possibilité sur toute la France[7]. Elle est également la seule à proposer les AAD dans ce département. Elle tient le coup grâce à son mari qui, militaire à la retraite, s’occupe de la maison et des enfants. Elle est de garde 24h/24, 11 mois par an. Elle est toujours sur la route, sauf le mois d’août qu’elle consacre à sa famille.
Ce qui est intéressant également, c’est que n’étant pas installée depuis très longtemps, elle se heurte aujourd’hui encore à des réactions de rejet ou d’effroi de la part des professionnels et des structures environnantes. Elle a également des souvenirs très clairs des difficultés qu’elle a traversées en s’installant seule dans cette aventure. Elle a un humour très corrosif et dépeint ces situations et notre société avec une causticité désarmante.
« Tout ira mieux le jour où l’on arrêtera de penser que la grossesse est une maladie ! L’homme envisage la maternité comme une douleur à abattre, qui ne sert à rien, qui ne doit pas faire de bruit. Comme s’il était logique d’accoucher avec un grand sourire sur le visage ! »
Sidonie Le Poul-Petit
Bagnolet – Département : Seine-Saint-Denis
« On nous soupçonne d’emmener les gens vers quelque chose de dangereux. Alors que toutes les études de la planète montrent qu’il n’y a pas de risque supplémentaire à domicile.»
Sidonie a 40 ans, elle accompagne depuis 5 ans les couples ayant un projet d’accouchement à domicile. Elle travaille en région parisienne, en collaboration avec une autre sage-femme, Geneviève Govillé, qui pratique les AAD depuis très longtemps.
Nous rencontrerons aussi Geneviève, car elles ont une collaboration très étroite et échangent beaucoup sur leurs pratiques. C’est en la rencontrant que Sidonie a découvert les AAD, et en la remplaçant un jour où elle était malade, qu’elle s’est jetée à l’eau. C’est elle qui l’a doucement conduite à prendre confiance en elle, à dépasser les préjugés et les difficultés : « J’avais peur de me lancer, car je me suis installée l’année où ils ont arrêté les assurances pour les accouchements à domicile.»
Aujourd’hui, Sidonie est une fervente défenseuse de l’AAD, elle ne se verrait pas travailler en plateau technique, même si elle en avait l’occasion.
Ce qui est assez surprenant quand on assiste à l’une de ses consultations, c’est qu’elle parle très rapidement avec les parents du fait qu’elle n’a pas la possibilité d’être assurée pour sa pratique. Même si cela n’a aucune conséquence pour eux, elle leur rappelle qu’elle prend beaucoup de risques personnels à exercer sans être assurée. Elle considère donc les parents comme des partenaires responsables, qui doivent savoir dans quoi ils s’engagent. Ce sont eux qui, à posteriori, pourraient se retourner contre elle si un problème survenait lors de la grossesse et contrairement au personnel travaillant à l’hôpital, elle n’aurait aucune assurance pour se couvrir.
Rencontrer Sidonie est assez déstabilisant, car elle ne correspond pas forcément à l’image stéréotypée que l’on a de la sage-femme discrète et calme. Elle peut paraître très douce ou au contraire intransigeante et solide si la situation l’exige. C’est en passant un peu de temps dans son cabinet que l’on se rend compte que les couples se tournant vers l’AAD sont loin d’être seulement les éco-baba-cools fantaisistes que l’on s’imagine. Cadres, professions médicales, jeunes artistes, mères de familles nombreuses se côtoient dans une même idée de la venue au monde.
La réalité de la région parisienne est également très particulière. On s’imagine mal un couple, vivant dans un 40 m2 ou dans un espace loin de toute nature, se lancer dans un projet d’accouchement à domicile. Et pourtant il semblerait que le désir ne s’embarrasse pas de ces détails et que la demande est toute aussi importante en ville que dans les campagnes reculées.
« L’accouchement à domicile n’est pas fait pour toutes les femmes. Donc heureusement que les hôpitaux sont là. Mais les parents devraient pouvoir construire leur projet de naissance dans une atmosphère sereine, dans un respect de la diversité des pratiques et avec une réelle possibilité de choix. »
[1] Un accouchement est dit « physiologique » s’il se fait sans intervention médicale, que la maman est en bonne santé et le bébé aussi.
[2] Un accouchement plus «naturel» – http://www.bebezine.fr/Un-accouchement-plus-naturel–3-1-6-11772-v.html
[3] Recommandations pour la pratique clinique de l’épisiotomie” – Collège National des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) – http://www.cngof.asso.fr/D_TELE/rpc_episio2005.pdf 3 DELIS, Dean et PHILIPPS, Cassandra, Le paradoxe de la passion, Robert Laffont, 2004.
[4] Dossier “Deux fois plus de césariennes en 20 ans ! Que s’est-il passé ? Quelles conséquences ?” -http://www.quellenaissancedemain.info/images/stories/cesarine/Cesariennes_Deux_fois_plus_de_cesariennes_en_20_ans.pdf
[5] Suivi de grossesse par une seule et même personne, de la déclaration de grossesse aux soins de la mère et du nouveau-né après la naissance.
[6] pièce au sein d’un service hospitalier ou d’une maternité où la sage-femme libérale peut accompagner un accouchement sans présence médicale.
[7] Liste des sages-femmes adhérant à l’ANSFL (Association Nationale des Sages-Femmes Libérales) ayant accès à un plateau technique ou pratiquant l’AAD – http://www.ansfl.org/medias/doc/110609-Accoucheuses.pdf